Sage-Femme à Mayotte, premières impressions
- Lena Denais
- 24 août 2019
- 8 min de lecture
Depuis le 1er juillet, j'ai commencé à travailler au Centre Hospitalier de Mayotte (CHM) à Mamoudzou.
Voici mes premières impressions et découvertes sur la plus grande maternité de France !
Petit point sur l'organisation générale :
Première chose marquante lors de ma venue à la maternité, sa taille ! Elle m'a semblé très petite proportionnellement au nombre d'accouchements réalisés !
En effet, en 2017, 9760 naissances ont été enregistrées à Mayotte, un chiffre déjà impressionnant et qui ne cesse d'augmenter.
Environ 70% ont lieu au CHM qui est la maternité principale de Mayotte où on trouve une équipe médicale complète avec des gynécologues-obstétriciens, des pédiatres et des anesthésistes sur place.

C'est une maternité de niveau 2B et non pas 3 (il existe des maternités de niveaux 1, 2A, 2B ou 3) et donc sans service de réanimation néonatale présent sur l'île pour prendre en charge des bébés nés très prématurément et/ou présentant des détresses graves ou à risques vitaux. Cela implique donc parfois des transferts vers La Réunion ou la métropole pour leur prise en charge même si beaucoup de soins normalement non pris en charge en 2B sont quand même fait au CHM.


Environ 25% des accouchements ont lieu dans les maternités périphériques de Mayotte qui sont au nombre de 4, à Dzoumogne au nord, Kahani au centre, Mramadoudou au sud et Dzaoudzi sur petite-terre.
Dans ces structures, l'équipe est plus réduite avec une sage-femme en salle de naissance et une sage-femme en suites de couche, plus ou moins une sage-femme pour les transferts et...pas de médecins !
Les patientes qui y accouchent doivent donc avoir une grossesse "normale" et sont transférées sur Mamoudzou au moindre soucis.
Mais l'obstétrique est imprévisible et malgré une grossesse sans problème, des situations d'urgence pour la mère ou le bébé peuvent survenir à l'accouchement. Même si l'île n'est pas très grande, les 45 min depuis Mramadoudou sur des routes souvent sinueuses et abîmées ou l'attente de la barge depuis Dzaoudzi peuvent paraître une éternité !
Du fait d'un effectif de sages-femmes bien inférieur aux besoins réels, c'est une des deux sages-femmes qui doit se détacher pour accompagner la patiente lors du transfert laissant donc l'autre sage-femme seule dans la maternité, en espérant qu'il n'y ait pas d'autre urgence en attendant son retour !

Etant donné l'activité toujours à flux tendu, toute l'organisation implique un turn-over important des patientes.
A Mamoudzou, des navettes partent tous les jours et plusieurs fois par jour vers les maternités périphériques pour toutes les patientes dont l'accouchement s'est bien passé.
Les patientes qui restent, contrairement à la métropole, n'ont pas trop le choix du jour de sortie qui se fait généralement assez tôt entre J3 (pour les accouchements voie basse) et J4 (pour les césariennes) et qui peut être avancé quand l'activité l'impose, hors pathologies ou situations particulières.
La grande précarité des patientes :
Les trois quarts des enfants nés en 2017 ont une mère de nationalité étrangère, comorienne pour la plupart, beaucoup en situation irrégulière et en situation de grande précarité.
Lors de la création des dossiers des patientes, des éléments nouveaux par rapport à la métropole apparaissent. Une des toutes premières questions à poser concerne la sécurité sociale (la majorité ne l'ont pas). On doit aussi demander si elles vivent dans une maison en tôle ou en béton et s'il y a l'eau et l'électricité. Là encore pour beaucoup la réponse est une maison en tôle sans eau ni électricité...
Un autre point crucial est la demande d'une pièce d'identité à l'arrivée de la patiente et la mise en place immédiate d'un bracelet d'identification du fait d'un grand nombre de cas d'usurpation d'identité parfois au sein même de leur famille.
Des grossesses mal suivies
Ce sont pour la grande majorité des grossesses très mal suivies, avec une première échographie pour dater la grossesse très tardive donc imprécise.
Elles ont souvent d'autres priorités. Cela nous donne souvent malheureusement l'impression de "tenir les patientes par la main". Quand on voit une patiente, elle doit obligatoirement repartir avec un prochain rendez-vous car on sait que si on n'organise pas nous même leur suivi, elle ne le feront pas.
Elles se déplacent toujours avec un "carneti", un petit carnet où tous leurs rendez-vous ainsi que les comptes-rendus de consultations, d'hospitalisation, d'accouchement sont notés. Beaucoup d'infos dans ces petits carnets, à nous de fouiller pour trouver les informations et ne pas louper une info capitale !
Il n'est pas rare de voir arriver une patiente sur le point d'accoucher sans qu'elle n'ait été vue une seule fois pendant la grossesse. Elles arrivent souvent en kwassa-kwassa (canots de pêche) des Comores dès qu'elles le peuvent, pour accoucher à Mayotte à un stade plus ou moins avancé de la grossesse et sans aucun dossier.
Cela rend la charge administrative très lourde (déjà lourde de base) avec la création de dossiers à la dernière minute, les investigations pour grappiller quelques informations, notamment dans le carneti pas toujours lisible, l'organisation d'un semblant de suivi sur des créneaux très réduits...
L'organisation du suivi pendant et après la grossesse se base sur deux points principaux : la sécurité sociale et si la grossesse est de déroulement normal ou pathologique.
Les patientes avec la sécurité sociale sont suivies par les sages-femmes libérales. De plus en plus de mères accouchent hors Mayotte, à La Réunion ou en métropole, et ce sont bien sûr celles qui en ont les moyens.
Celles sans sécurité sociale avec une grossesse de déroulement normal sont suivies par les sages-femmes de la Protection Maternelle et Infantile. Là où en métropole le suivi des femmes en PMI consiste surtout en un encadrement médico-psycho-social des femmes enceintes, à Mayotte, elle permet surtout un premier pas dans le système de santé en réalisant les actes primordiaux dans le suivi de la grossesse, donc une prise en charge plus médicale que psycho-sociale.
Pour celles sans sécurité sociale mais présentant une pathologie, le suivi se fait dans une des maternités de l'île.
Il existe une pharmacie gratuite au CHM pour ces patientes, "Jacaranda", qui envoient la plupart du temps quelqu'un de leur famille chercher leurs médicaments car il faut souvent patienter toute la nuit là-bas pour être reçu.
Beaucoup, en situation irrégulière, n'y vont pas du tout par peur de se faire "attraper" par la police, leur bracelet d'hospitalisation ou un papier de notre part n'y changent rien, n'ayant aucune valeur légale...
Pour la même raison, beaucoup de Boueni ne vont pas à leur rendez-vous à Mamoudzou ou ne se présente pas à Mamoudzou pour accoucher malgré une pathologie qui contre-indique leur accouchement ailleurs, voire même préfèrent accoucher chez elles...
Le nombre d'accouchement hors structures est deux fois plus élevé parmi les mères étrangères que parmi celles de nationalité française ! Environ 4% ont lieu hors d’une maternité contre 0,5 % en métropole.
Outre la peur que peut inspirer la police, les Boueni ont souvent comme seul moyen de locomotion les taxi-brousse, non-disponibles la nuit. Même si l'île est petite, les déplacements peuvent prendre du temps ! De plus, il peut être dangereux de sortir la nuit et beaucoup ne s'y aventureront pas. Les ambulances sont souvent appelées après l'accouchement.
La barrière de la langue
La grande difficulté en commençant à travailler à Mayotte reste la barrière de la langue qui rend au premier abord les échanges très limités. La majorité des patientes ne parlent pas bien ou pas du tout français, elles parlent le plus souvent Shimaore. Nous, les Mzungu (les blancs) parlons le Shizungu.
Même si, par d'autres moyens, il existe quand même un partage, on se retrouve souvent à réaliser des actes médicaux sans pouvoir les expliquer correctement ou dire dans quel but on fait telle ou telle chose, avec la désagréable impression d'imposer une prise en charge.
On essaye le plus souvent d'obtenir une traduction par notre binôme auxiliaire ou à défaut une voisine de chambre qui parle shizungu. Et oui avec trois patientes par chambre, la notion d'intimité est bien différente, même si, dans la majorité des cas, cela n'a pas l'air de déranger les patientes qui échangent beaucoup et n'aiment pas être seules car elles vivent habituellement beaucoup plus en communauté.
En attendant d'être bilingues, on apprend les bases !
Bonjour : jéjé
Merci : Marahaba
Au revoir : Kwahéri
Bienvenue : Caribou
Aujourd'hui : Leo
Hier : Jana
Demain : Meso
Madame : Boueni
Monsieur : Mogné
Bébé : Moina zaza
Garçon : Shubaba
Fille : Shumama
Asseyez-vous : Ketsi
Allongez-vous : lala
Poussez : Caza
Stop : Bass
Doucement : Vole vole
Expirez : Exapoum
Médicament : Dalao
Douleur : Kodza
Tête : Chitsua
Ventre : Mimba
Sang : Damou
Liquide/ eau : Maji
Pipi : Kojo
Un peu : Titi
...
La jeunesse de l'équipe
La quasi totalité de l'équipe de sage-femme est constituée de sages-femmes nouvellement diplômées ou avec 1, 2 ou 3 années d'expérience. Ici les "vieilles" sont là depuis deux ans...
Par exemple, avec Fanny nous sommes arrivées en juillet en même temps qu'une dizaine de sages-femmes et nous étions les seules avec une année d'expérience, presque des vieilles !
Même si c'est très agréable , on peut s'interroger sur la jeunesse de l'équipe de sages-femmes qui se retrouvent à gérer des situations d'urgences multiples et graves, en ne pouvant se reposer que sur d'autres jeunes sages-femmes !
Et de plus en sous-effectif ! En salle de naissance l'effectif est passé de 5 à 4 sages-femmes par garde malgré une activité qui ne diminue pas et qui a même plutôt tendance à augmenter !
Les recrutements concernent donc surtout des nouvelles diplômées qui n'arrivent donc que l'été sans forcément compenser tous les départs au cours de l'année avec donc des périodes où nous ferons plutôt 15 gardes par mois que 12...
Avec ce rythme infernal, on comprend pourquoi les sages-femmes restent en général maximum 3 années.
Malgré tout cela se compense par une équipe très soudée et très disponible sur chaque situation.
Au niveau médical, les particularités
Du fait d'un suivi approximatif, les pathologies sont souvent dépistées tardivement et mal suivies.
Avec beaucoup de surpoids et d'obésité, liée à une alimentation peu équilibrée, il existe beaucoup de diabète.
Le risque d'hémorragie à l'accouchement augmente avec le nombre d'accouchement, elles sont donc régulières à Mayotte.
J'ai l'impression que les poids de naissance sont aussi moins élevés qu'en métropole. Malgré cela les "dystocies des épaules" (la tête sort mais les épaules restes coincées au niveau du bassin) sont très fréquentes et sur des bébés avec des poids peu élevés (cela arrive plus souvent sur les gros bébés de 4kgs en métropole), s'expliquant surement par une forme de bassin différente.

Au CHM notre regard est un peu biaisé puisque toutes les femmes ayant un soucis pendant la grossesse y accouchent avec donc beaucoup de pathologies concentrées et de facteurs de risques pour l'accouchement.

Malgré tout, elles accouchent très souvent rapidement (même quand c'est un premier bébé!), bien et sans déchirure (les tissus et la peau sont aussi différents).
Peu accouchent avec la péridurale et leur gestion de la douleur est impressionnante avec un seuil d'acceptation bien plus élevé !
Le modèle familial à Mayotte
La famille à Mayotte repose sur « deux fondements essentiels : le mariage et une fécondité élevée » (Insee).
Le mariage constitue l’un des faits marquants (incontournable ?) de la société mahoraise. Souvent précoces, les séparations sont aussi nombreuses et il est fréquent qu'une femme se soit mariée plusieurs fois. Il existe aussi beaucoup de polygamie ou plus précisément de polygynie (un homme ayant plusieurs femmes).
La fécondité reste forte mais elle est en recul avec la généralisation de la scolarisation. Elle reste très élevée chez les femmes étrangères.
Culturellement, on constate une reconnaissance du statut de la femme enceinte qui ne pousse donc pas les femmes à diminuer le nombre de grossesse.
Voilà pour mes premières découvertes et ressentis après déjà presque deux mois à la maternité mais il y a encore tant de choses à dire !
A bientôt !
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